Séance publique du 3 février 2016

3 février 2016

Lutte contre le système prostitutionnel

Compte rendu intégral

Séance du mercredi 03 février 2016

Document

1. Questions au Gouvernement

2. Économie bleue

3. Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Extrait

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Louise Fort.

Mme Marie-Louise Fort. Nous examinons, en nouvelle lecture et pour la troisième fois ici à l’Assemblée, la proposition de loi du groupe SRC renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. La commission mixte paritaire réunie le 18 décembre 2015 n’a malheureusement pu aboutir à un texte commun sur les dispositions du texte restant en discussion.

Vous le savez, depuis le début des discussions sur ce texte, et avant cela sous la législature précédente, le groupe des députés Les Républicains réaffirme avec force son soutien évident et pérenne à l’objectif de lutte contre le système prostitutionnel, je dirai même contre les systèmes prostitutionnels tant le phénomène de la prostitution revêt, on le sait, des aspects complexes et divers. Internationale, migratoire ou encore occasionnelle avec l’utilisation du numérique, la prostitution reste bien réelle et un mal social permanent de notre temps qu’il faut combattre.

Néanmoins, je persiste à regretter que le parti socialiste n’ait pas proposé ce texte à la cosignature des autres groupes politiques.

M. Philippe Goujon. Absolument.

Mme Marie-Louise Fort. Sur une question se situant largement au-delà du clivage gauche-droite, je le répète, travailler de manière transpartisane aurait été judicieux. Toutefois, je me félicite de l’ambiance excellente qui a prévalu en commission spéciale et de la qualité de son travail, mené sous la houlette de notre rapporteure Maud Olivier et de notre président Guy Geoffroy.

Je souhaiterais vous rappeler, mes chers collègues, que nous avions identifié dès la première lecture du texte plusieurs difficultés et interrogations qui devaient être levées au cours de la navette entre les deux chambres. Tout d’abord, la suppression du délit de racolage, au risque d’une perte notable d’informations sur les réseaux de proxénètes. Ensuite, l’instauration d’une pénalisation du client, dont le symbole est essentiel mais l’applicabilité incertaine. Enfin, l’octroi d’un permis de séjour et de travail temporaire aux personnes qui s’inscrivent dans un parcours de sortie de la prostitution, assorti d’une allocation spécifique, sans condition de témoignage.

Nous avons avancé puisque lorsque la CMP a échoué, le Sénat avait voté conforme la suppression du racolage passif : ce sujet n’est plus en discussion. Pourtant, les deux chambres paraissent toujours inconciliables, en particulier sur le sujet de la pénalisation ou non du client.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ce n’est pas ce qu’a dit le président de la commission spéciale.

Mme Marie-Louise Fort. Permettez-moi de revenir brièvement sur plusieurs des points d’achoppement qui subsistent entre nos deux chambres. La commission spéciale, tout d’abord, est revenue à la version de notre assemblée en supprimant la possibilité, pour l’autorité administrative, de demander aux fournisseurs d’accès le blocage des sites qui auraient été identifiés comme permettant aux réseaux de traite et de proxénétisme d’organiser leur activité sur le territoire.

Par ailleurs, la commission spéciale a permis une avancée que je qualifierais de notable à l’article 1er ter du texte, en permettant d’appliquer l’article 62 du code de procédure pénale aux personnes prostituées. Ainsi, il sera possible de retenir temporairement en audition, comme témoin, une personne prostituée, alors même qu’il n’existera aucune raison plausible de soupçonner qu’elle aura commis une infraction.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale. Voilà.

Mme Marie-Louise Fort. La procédure judiciaire de recueil des témoignages se trouve ainsi sécurisée.

M. Guy Geoffroy, président de la commission spéciale et M. Philippe Goujon. Très bien.

Mme Marie-Louise Fort. Ensuite, s’agissant du rôle des associations, à l’article 3, la commission spéciale s’est rangée à la position de la Haute assemblée en prévoyant que toutes les associations qui aident et accompagnent les personnes en difficulté, et pas seulement celles spécialisées dans l’accompagnement des personnes prostituées, pourront participer à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un parcours de sortie de la prostitution. Néanmoins, je m’interroge sur la pertinence de laisser toutes les associations, sans distinction, s’occuper de ce problème très particulier.

D’autre part, la commission spéciale a heureusement rétabli la condition de cessation de l’activité de prostitution pour que puisse être délivrée une autorisation provisoire de séjour à la personne anciennement prostituée, disposition qui fait l’objet de l’article 6.

Aux articles 16 et 17, la commission spéciale a enfin rétabli la pénalisation du client, qui consiste en une contravention de cinquième classe et, en cas de récidive, en un délit puni de 3 750 euros d’amende maximum. Ainsi que la création d’une peine complémentaire de stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

Au final, on le voit bien, à moins d’un revirement du Sénat, l’amère perspective d’un dernier mot de notre assemblée se profile, et je le regrette. Les positions des uns et des autres sont désormais largement connues. À titre personnel, je reste farouchement opposée au principe de substitution, à la pénalisation des prostituées, de celle du client.

Le risque n’est pas totalement exclu, de mon point de vue, que cette pénalisation ait pour corollaire la clandestinité, poussant les personnes prostituées à se réfugier dans des lieux difficiles à localiser où l’emprise du réseau mafieux sur la personne prostituée se fera plus forte encore. Plusieurs associations féministes et de hautes autorités intellectuelles se sont exprimées dans le même sens : Élisabeth Badinter comme l’ancien garde des sceaux et sénateur Robert Badinter.

En outre, on peut regretter que plusieurs sujets aient été évacués : quid du renforcement proprement dit de la lutte contre les proxénètes ? Quid de la prévention de la prostitution volontaire ?

Cela m’interpelle que l’on fasse parfois mine de nier le caractère complexe et hétérogène de la prostitution, en tout cas de son vécu. Ainsi, l’Inspection générale des affaires sociales a constaté, dans le cadre d’une enquête menée en 2012 sur les enjeux sanitaires de la prostitution, que « l’examen de la diversité des situations de prostitution fait apparaître des degrés très variables dans la contrainte ou au contraire dans la liberté ».

Bref, je regrette que les deux maîtres-mots à suivre pour bien légiférer que sont le pragmatisme et le réalisme n’aient pas toujours été au rendez-vous de la démarche initiale entreprise, des intentions et de nos débats, même si je partage le sentiment d’horreur par rapport à la marchandisation des corps.

En conclusion, dans les rangs du groupe Les Républicains, différents avis se sont exprimés…

M. Philippe Goujon. C’est vrai.

Mme Marie-Louise Fort. …comme se sont exprimés différents avis au sein de nombreuses formations politiques, le sujet transcendant les clivages partisans. Certains de mes collègues Les Républicains sont résolument favorables à l’adoption de ce texte,…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument.

Mme Marie-Louise Fort. En effet, à commencer par le premier d’entre eux. D’autres continuent de penser que l’octroi d’une autorisation de séjour pour les personnes qui s’engagent simplement dans un parcours de sortie de la prostitution pourra être dévoyé par les réseaux ; réseaux qui promettront à des personnes désespérées le droit au séjour et une aide spécifique à l’issue d’une période donnée de prostitution. Pour m’être rendue la semaine dernière à Calais, je me pose moi aussi un certain nombre de questions.

D’autres encore restent, comme moi, opposés à la pénalisation des clients de prostituées. D’aucuns pensent que la constatation de la nouvelle infraction, comme l’éventuelle poursuite, seront matériellement impossibles à faire observer par les forces de l’ordre.

Enfin, certains considèrent que la peine d’amende d’ordre contraventionnelle relève du symbole par son insuffisance et qu’elle n’empêchera pas les plus fortunés de recourir à la prostitution tout en s’acquittant des amendes.

M. Philippe Goujon. Eh oui.

Mme Marie-Louise Fort. Pour toutes ces raisons, le groupe des députés Les Républicains continuera majoritairement de s’abstenir, faute d’avoir été totalement convaincus au cours de la navette parlementaire, et faute de véritable consensus. Cela étant, je veux conclure en saluant une nouvelle fois l’excellent travail réalisé par notre commission spéciale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Merci.

 

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