Note sur la crédibilité budgétaire des programmes économiques

Une note de Gilles Carrez,  Président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale

Au cours de la campagne pour la primaire de la droite et du centre, nous ne manquerons pas d’être interrogés quant à la crédibilité budgétaire des programmes économiques des différents candidats, en particulier dans la mesure où la plupart d’entre eux assument un creusement temporaire de nos déficits publics au cours de la première, voire de la seconde année du quinquennat (2017 et 2018). Cette déconnexion peut se comprendre dans la mesure où les économies engagées ne produiront leurs effets qu’à moyen et long terme tandis que les baisses d’impôts et de charges auront un impact immédiat. Il faut pour autant prendre conscience des limites de ce choix même si les taux d’intérêt resteront probablement faibles.

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1. Le point de sortie budgétaire en 2017 : un héritage plus lourd que prévu
Premièrement, si l’exercice 2015 a été meilleur que prévu (déficit de -3,6% du PIB contre -3,8% anticipés) grâce, essentiellement, à des facteurs exogènes (taux d’intérêt, investissements d’avenir..), les objectifs affichés par le gouvernement (-3,3% en 2016 et -2,7% en 2017) apparaissent d’ores et déjà compromis compte tenu des annonces de dépenses nouvelles qui impactent ces deux exercices (plan emploi, point d’indice de la fonction publique, mesures jeunes, prime enseignants, revalorisation de l’APA…). A cela s’ajoutent les sous-budgétisations en loi de finances pour 2016 qui pourraient être d’une ampleur plus grande que prévu cette année, comme l’a révélé le dernier rapport de la Cour des Comptes.

Au-delà de l’absence de réformes structurelles, ce quinquennat – en particulier cette année – aura été marqué par l’engagement de dépenses supplémentaires sur lesquelles il nous sera difficile, voire impossible, de revenir (point d’indice de la fonction publique, accords carrière et rémunération des fonctionnaires, tiers-payant…).

Au total, on peut légitimement envisager un point de sortie budgétaire aux alentours de 4 points de PIB en 2017, ce qui supposera la négociation d’un nouveau délai auprès de la Commission européenne en vue de revenir dans les critères de Maastricht. La dette publique, quant à elle, aura augmenté de 450 milliards d’euros environ depuis 2012. Rappelons que si elle avait augmenté de 600 milliards d’euros entre 2077 et 2012, la moitié au moins était liée aux conséquences de la crise financière.

2.    Réaliser de l’ordre de 100 milliards d’euros d’économies sur le quinquennat implique des efforts considérables

La plupart des candidats à la primaire proposent la réalisation d’économies sur l’ensemble de la dépense publique de l’ordre de 80 à 110 milliards d’euros sur le quinquennat. Cela revient à geler en volume (hors inflation) l’évolution de la dépense publique (environ 1250 milliards d’euros) entre 2017 et 2022. En valeur absolue, ce qui est plus parlant, cela veut dire que l’ensemble de la dépense publique qui avait augmenté chaque année d’environ 30 milliards entre 2002 et 2012, ne s’accroîtrait plus que de 10-12 milliards.

La réalisation d’un tel objectif est possible, mais extrêmement exigeante, notamment du point de vue des dépenses sociales, qui représentent 55% de la dépense publique totale et près des trois quarts de son accroissement depuis 30 ans. A titre indicatif, cela suppose de mettre en œuvre, dès juillet 2017 : une réforme des prestations de santé et de solidarité ; le report de l’âge légal de départ à la retraite ; la dégressivité des allocations chômage ; la reprise de la réduction du nombre de fonctionnaires, l’augmentation de leur temps de travail ainsi que la poursuite de la diminution des dotations aux collectivités locales.

3.    Les mesures en faveur de la compétitivité des entreprises depuis 2013 représentent 2 points de PIB

Les 3 principales mesures de soutien aux entreprises que sont le CICE, le Pacte de responsabilité et la mesure de suramortissement ont atteint leur régime de croisière. En cumulé, ils représentent une réduction d’impôts et de charges d’environ 33 milliards d’euros en 2016, qui atteindra environ 40 milliards d’euros en 2017.

Certes, ces mesures n’ont pas encore permis de rattraper les pertes de parts de marché à l’exportation de nos entreprises depuis le début des années 2000, ce qui justifie que les différents candidats souhaitent aller plus loin dans les allègements d’impôts et de charge.

Pour autant, il s’agit là d’un effort considérable (2 points de PIB) qui continuera de peser sur le prochain quinquennat. De ce point de vue, le CICE constitue un héritage  budgétaire conséquent : en dépit de son éventuel intégration au barème des allègements de charges, les créances vis-à-vis des entreprises continueront d’être dues jusqu’en 2020 au titre des rémunérations versées en 2017. Ce phénomène sera amplifié par l’augmentation de son taux, de 6 à 7%, l’an prochain.

 4.    L’acceptabilité des réformes mentionnées au 2. passe sans aucun doute par un rééquilibrage de la charge fiscale en faveur des ménages.

En effet, le début de l’actuelle législature a été marqué par une forte accélération du taux de prélèvements obligatoires reposant, notamment, sur une augmentation significative de la charge fiscale des ménages, qui a atteint 16 % du PIB en 2014 – soit une hausse de 1,5 point par rapport à 2011.

Or, compte tenu des effets du Pacte de responsabilité, la période récente a été clairement marquée par un transfert de la charge fiscale des entreprises vers les ménages[1].

5.    Des taux d’intérêt nuls, voire négatifs, pour combien de temps encore ?

A l’heure actuelle, la France se finance à des taux d’intérêt historiquement bas, voire négatifs. A titre d’illustration, l’emprunt à 10 ans se fait à 0,1% contre près de 4% il y a cinq ans. Dans ces conditions, la charge d’intérêt de la dette diminue d’une année sur l’autre quand bien même il nous faut emprunter le déficit de l’année en cours[2] !

Mais cette situation risque de ne pas perdurer :

–       la politique dite « non-conventionnelle » de la BCE doit théoriquement prendre fin en septembre 2017 ;

–       après un premier relèvement de ses taux directeurs l’an passé, la réserve fédérale américaine (Fed) envisage un nouveau relèvement compte tenu de la situation de l’emploi aux Etats-Unis ;

–       les effets du « Brexit » sur les rendements des obligations souveraines pourraient s’atténuer compte tenu du calendrier de sortie de l’UE ;

–       enfin, et surtout, si notre pays creuse massivement ses déficits entre 2017 et 2018, nous prenons le risque de devenir la cible de nos financeurs qui sont, rappelons-le, aux 2/3 des étrangers.

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En conclusion, l’idée d’un creusement temporaire de nos déficits en début de quinquennat fait sens économiquement parlant. Il n’est d’ailleurs pas exclu de penser que cette politique d’offre aura des conséquences budgétaires heureuses à moyen terme. Cela étant, compte tenu de la situation financière dégradée dont nous hériterons en 2017, l’ampleur de cette politique devra tenir compte des efforts déjà réalisés en faveur des entreprises. Parallèlement, cette démarche implique la mise en œuvre, dès l’été 2017, de réformes structurelles puissantes de nature à réduire l’ensemble de nos dépenses publiques. Un tel effort, pour être accepté des Français, suppose que soit rééquilibrée la charge fiscale entre les entreprises et les ménages.

 

 

 

 

[1] Dans le détail, entre 2012 et 2015, les prélèvements obligatoires sur les ménages se sont accrus de 50 milliards d’euros, passant de 504,64 milliards d’euros à 555,12 milliards d’euros. Dans le même temps, les prélèvements obligatoires sur les entreprises n’ont augmenté que de 10 milliards d’euros, passant de 410,05 milliards d’euros à 420,27 milliards d’euros. Sur la période 2007-2015, l’écart est encore plus marqué, les prélèvements obligatoires sur les ménages ayant augmenté d’environ 110 milliards d’euros tandis que ceux pesant sur les entreprises n’ont augmenté que de 46 milliards d’euros.
[2] Cela est lié au fait que les économies que nous faisons sur le refinancement de notre part de dette arrivée à échéance (environ 120 milliards d’euros) sont supérieures au coût d’emprunt de nos déficits (environ 80 milliards d’euros).

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