mardi 10 décembre lors de la Déclaration du Gouvernement sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine et débat sur cette déclaration
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues,
Nos soldats ont entamé une mission extrêmement périlleuse en Centrafrique. Deux d’entre eux ont perdu la vie et c’est d’abord à eux que nous pensons. Nous mesurons toute l’ampleur de leur sacrifice.
Monsieur le Premier ministre, notre engagement en Centrafrique ne méritait pas le ton polémique que vous avez voulu employer.
Nous le déplorons d’autant plus que nous soutenons la décision du Président de la République de déclencher l’opération Sangaris.
Cela n’excuse pas, cher collègue, toutes les erreurs historiques que nous avons pu entendre.
Nous la soutenons car c’est une décision que le Président ne pouvait pas ne pas prendre au regard du drame qui se noue dans ce pays si intimement lié à l’histoire de France.
Nous soutenons d’abord un débat parlementaire respectueux en tout point de la lettre et de l’esprit de nos institutions.
Le Président de la République – et c’est sa responsabilité – a décidé l’envoi des troupes françaises vendredi dernier. Vous disposiez, monsieur le Premier ministre, en vertu de l’article 35, de trois jours pour informer le Parlement. Ce matin, vous avez réuni les principaux responsables parlementaires à Matignon et nous voici dans l’hémicycle pour en débattre.
Si j’insiste sur ce point, ce n’est pas par je ne sais quel juridisme tatillon. C’est simplement parce que nous avions mal vécu le débat sur la Syrie en septembre dernier. Vous nous aviez convoqués pour débattre d’une intervention militaire virtuelle. Cela avait créé un trouble dans de nombreux rangs, sur tous les bancs de cette assemblée.
Les choses sont beaucoup plus claires aujourd’hui. C’est une bonne chose et cela a permis de créer les conditions d’un consensus.
Ce consensus est évidemment renforcé par le vote d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. La France, sauf si ses intérêts vitaux étaient menacés, n’intervient pas sans la force du droit international avec elle.
C’est une constante de notre politique diplomatico-militaire depuis cinquante ans.
Une fois la résolution 2127 votée, tout était donc en place pour que le Président de la République prenne sa décision. J’entends ici et là quelques reproches selon lesquels nos troupes se seraient déployées trop lentement depuis vendredi dernier. Ce sont des reproches que nous ne pouvons pas laisser prospérer. Nos soldats agissent au prix de leur vie et ont déjà payé un lourd tribut.
Leur sécurité n’est pas négociable et il est de la responsabilité du Gouvernement et de nos chefs militaires de la garantir.
Ce que nous disons aujourd’hui à nos soldats, c’est qu’ils peuvent être fiers de la cause juste qu’ils servent en Centrafrique. Et nous leur disons, alors qu’ils sont au feu, que nous les soutenons totalement.
Notre contingent de plus de 1 600 soldats, aux côtés de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique, est en première ligne dans un pays qui est devenu une véritable poudrière en proie à des exactions, des pillages, des viols, des massacres de masse. La France ne pouvait laisser perdurer cette situation qui risquait de déboucher sur une tragédie génocidaire.
Cette mission de la France est noble, elle est juste et conforme aux valeurs de la République. Mais nous devons sans hypocrisie la vérité aux Français qui doutent du sens de notre présence sur un théâtre d’opérations qui leur semble si lointain.
Le Président de la République nous a annoncé une « opération rapide et qui n’a pas vocation à durer ». Nous partageons cet objectif. Mais est-il vraiment réaliste ?
Ce pays est en proie à ce qui s’apparente à une guerre civile. Le président Djotodia – dont nous ne savons d’ailleurs pas si vous le soutenez toujours – n’a manifestement pas la capacité de désarmer ses ex-alliés. Nos soldats, dans le délai fixé par François Hollande, en seront-ils capables ? Rien n’est moins sûr.
Voilà pourquoi nous pensons qu’il est responsable de dire précisément à nos concitoyens ce qui se joue en Centrafrique.
Ce qui se joue en réalité, c’est la stabilité d’une très vaste zone africaine, une zone qui déborde peu à peu la bande sahélienne, une zone où la criminalité et le terrorisme islamiste tentent de prendre le pouvoir. En Centrafrique aussi, ce mouvement puissant est à l’œuvre et la dimension confessionnelle du conflit ne doit pas être minimisée. Les chrétiens sont en grave danger en Centrafrique
Nous attendons que le Président de la République ait ce discours de vérité. II est plus que jamais indispensable de rappeler que la Centrafrique est une pièce de ce puzzle où nos intérêts géostratégiques sont nombreux.
Cet effort de pédagogie et de vérité sur notre stratégie militaire en Afrique nous revient collectivement. Du Mali à la Centrafrique en passant par le Niger avec ses sites d’extractions d’uranium, la France ne met pas seulement en œuvre une diplomatie des bons sentiments elle défend ses intérêts. Dites-le clairement, monsieur le Premier ministre, cela renforcera la légitimité politique de cette intervention au-delà de sa légitimité morale et internationale.
Mais nous devons, à ce stade, monsieur le Premier ministre, exprimer nos doutes et nos inquiétudes. Une fois de plus, la France est bien seule. Des questions essentielles auxquelles vous n’avez pas répondu se posent.
La première est celle de notre capacité à tenir budgétairement un tel rythme d’engagement. Le vote récent d’une loi de programmation militaire très faible et sans ambition pose avec acuité cette question : aurons-nous dans la durée les moyens d’une stratégie où la France serait le seul gendarme de cette partie du monde ?
La loi de programmation militaire va peser sur nos capacités de projection et, plus grave, sur la capacité d’entraînement de nos armées. Dans ces conditions, on peut douter que la France aura demain les moyens de projeter des troupes en Afrique ou ailleurs. Vous avez pris avec cette loi de programmation militaire une lourde responsabilité, monsieur le Premier ministre.
La deuxième question est celle de la stratégie partagée de l’Union européenne, partagée en termes de moyens matériels, de financement et d’effectifs. Il faut beaucoup plus de solidarité dans les opérations conduites dans l’intérêt de tous. Il est urgent de créer un fonds européen de financement des opérations extérieures, comme l’a proposé récemment notre collègue Pierre Lellouche. Ce doit être un enjeu du prochain Conseil européen.
Enfin, la dernière question est celle de la capacité d’intervention des organisations africaines. Cette intervention sera financée par des contributions volontaires des États. Les promesses de dons sont malheureusement toujours supérieures aux dons effectifs. Les forces africaines de la MISCA, hier débordées, sauront-elles prendre demain le relais de nos soldats ? On peut l’espérer et tenter de les préparer. Mais le principe de réalité s’imposera et nos soldats n’auront d’autres choix que de rester.
Monsieur le Premier ministre, je conclurai en réitérant le soutien du groupe UMP à cette opération menée dans le cadre d’un mandat de l’ONU. Nous avons pris acte de l’annonce par le Président de la République d’une mission courte. Nous appelons toutefois votre attention sur les deux points faibles de la résolution des Nations unies : d’une part, le financement incertain ; d’autre part, la frilosité de la communauté internationale devant la nécessité de déployer une opération de maintien de la paix le plus vite possible. Nous soutiendrons toutes les initiatives de notre diplomatie dans cette direction car c’est la clef de la réussite de l’intervention française.
Nos soldats n’auront posé les bases d’un succès dans la durée qu’à deux conditions : que nous n’y restions pas seuls, et que nous transmettions rapidement la responsabilité de l’ordre et du maintien de la paix à une force internationale, de préférence africaine.