Commission des affaires étrangères, 3 avril

mercredi 3 avril 2013

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Accord de défense entre la France et la Serbie (n°428)

La commission examine, sur le rapport de Mme Marie-Louise Fort, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces (n° 428).

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure. Le texte dont nous sommes aujourd’hui saisis a été signé à Paris le 7 avril 2011. Il s’agit d’un accord ayant pour objet principal le développement de la coopération entre la France et la Serbie dans le domaine de la défense ainsi que la définition d’un statut adéquat pour les personnels détachés dans le cadre de cette coopération.

Autant briser le suspense dès maintenant : je compte vous demander d’autoriser l’approbation de cet accord. D’une part, il est loin d’être révolutionnaire et – j’y reviendrai–  il contient des clauses tout à fait classiques en matière de coopération dans le domaine de la défense. D’autre part, il revêt une réelle importance politique et symbolique qu’il me semble utile d’évoquer brièvement ici.

L’accord qui nous est soumis s’inscrit en effet dans le spectaculaire processus de normalisation de la Serbie entrepris depuis le début des années 2000. Je dis « spectaculaire » car, nous nous en souvenons tous, l’OTAN, il y a 14 ans, bombardait Belgrade. Notre pays, aux côtés de ses alliés, participait pleinement aux opérations et menait une guerre dans les Balkans.

14 ans plus tard que de chemin parcouru ! Depuis la transition démocratique en octobre 2000, la Serbie est engagée dans un processus de stabilisation, de démocratisation et de rapprochement avec l’Union européenne, avec laquelle elle a conclu un accord de stabilisation et d’association en 2008. Elle est officiellement candidate à l’adhésion depuis 2009 et ce statut lui a été reconnu par le Conseil européen il y a un peu plus d’un an, en mars 2012. De même, la Serbie a largement normalisé ses relations avec la plupart de ses voisins au cours des dernières années – je pense notamment à la Croatie et à la Bosnie-Herzégovine –, même si des questions restent en suspens sur les problématiques liées aux réfugiés et aux frontières ainsi qu’aux relations avec le Kosovo.

Sur le plan militaire, la Serbie a déjà conclu une trentaine d’accords de coopération, que ce soit avec plusieurs pays membres de l’OTAN tels que l’Allemagne, l’Espagne, la Grande-Bretagne ou l’Italie, mais aussi avec des partenaires plus éloignés tels que le Nigéria, l’Algérie, la Namibie, le Koweït ou le Brésil. Décidemment éclectique, la Serbie a même un programme de partenariat avec la garde nationale de l’Etat américain de l’Ohio ! La Serbie a par ailleurs accédé au « Partenariat Pour la Paix » de l’OTAN mais n’entend pas demander son adhésion à l’Alliance, ce qui se comprend aisément vu que les bombardements de 1999 sont encore très présents dans les mémoires.

Sur un plan bilatéral, le processus de normalisation est également remarquable. Nos relations diplomatiques avec la Serbie ont été rétablies le 16 novembre 2000, peu après la chute du régime Milošević. Les gouvernements français et serbe ont signé, le 8 avril 2011, – soit le lendemain de la signature du texte qui nous est soumis – un accord de partenariat stratégique et de coopération qui vise, de manière générale, à relancer et encadrer les relations bilatérales entre nos deux pays.

En matière de défense, une coopération technique est en place entre la France et la Serbie depuis 2004. Comme je l’indique dans mon rapport, elle a pris la forme d’échanges d’officiers et de formations militaires. A ce titre, la Serbie bénéficie d’une place à l’Ecole de guerre sans interruption depuis maintenant dix ans. Au niveau opérationnel, la toute première participation serbe à une opération de l’Union européenne a été organisée avec la France, grâce à l’embarquement d’un officier serbe sur un bâtiment français participant à l’opération ATALANTA d’avril à août 2012. L’effort est sans doute modeste mais doit être souligné s’agissant de deux pays qui était de facto en guerre il y a moins de quinze ans. C’est d’ailleurs là que réside un des principaux intérêts de l’accord qui nous est soumis : poursuivre le renforcement des liens entre la France et la Serbie dans un domaine hautement symbolique qui contribue au processus de réinsertion de la Serbie au sein de la communauté internationale.

Sur le fond, comme je l’ai indiqué, l’accord que nous examinons n’est pas différent des accords de coopération en matière de défense que notre pays est conduit à passer avec d’autres Etats. Tout d’abord, ce n’est pas un accord de défense. Il ne prévoit pas de clause d’assistance en cas de menace ou d’agression extérieure ni de crise interne. Son but est le développement de la coopération franco-serbe dans un certain nombre de domaines tels que la politique de défense et de sécurité, l’organisation et le fonctionnement des forces armées, la défense civile ou le droit et la médecine militaires. Cette coopération peut prendre par exemple la forme de visites, de stages, d’envois d’officiers, de conférences, de formations ou encore de coopération opérationnelle entre les forces armées des deux parties. L’accord institue également une commission mixte franco-serbe. Elle se réunit au moins une fois par an, alternativement en France et en Serbie, afin de planifier les coopérations, d’en assurer le suivi et d’en dresser le bilan. En outre, s’agissant du statut des personnels qui participeront aux actions de coopération militaire entre la France et la Serbie, l’accord stipule qu’il sera régi par une convention de 1995 – traditionnellement connue sous le nom de « convention SOFA PPP » – qui a un tel objet et vise les Etats membres de l’OTAN et ceux du « Partenariat Pour la Paix ». Or, la Serbie n’ayant pas encore adhéré à cette convention au moment de la signature de l’accord qui nous est soumis – et ne l’ayant toujours pas fait –, il est prévu un régime transitoire qui reprend, sur le fond, les mêmes règles que le régime multilatéral liant les membres de l’OTAN à ses partenaires. L’accord traite ainsi des modalités d’entrée et de sortie du territoire, du port de l’uniforme et des armes et de l’identification des véhicules. Il prévoit que, sur le plan disciplinaire, les membres du personnel militaire et civil présents sur le territoire de l’autre partie dans le cadre de l’accord sont soumis à leurs autorités d’origine. Il organise les soins médicaux et leur financement. Il traite des démarches à accomplir en cas de décès d’un membre du personnel militaire ou civil. Il prévoit des exonérations fiscales pour l’importation de matériel et équipements destinés à l’usage exclusif des forces pouvant être présentes sur le territoire de l’autre Etat. Logiquement, l’accord détermine également la compétence de la France et de la Serbie en cas d’infractions commises par un membre de son personnel ou par une personne à sa charge. Par dérogation au principe de la compétence de l’Etat d’accueil, l’Etat d’envoi a une priorité de juridiction dans quelques cas bien précis notamment en cas d’infraction portant uniquement atteinte à la sécurité de l’Etat d’origine.

Voici les quelques observations que je tenais à faire sur le contenu même de l’accord. Finalement, qu’est-ce que sa ratification apportera à la France ? Tout d’abord, elle permettra que nos coopérations soient encadrées juridiquement et que nos personnels militaires et civils bénéficient d’une protection suffisante. En soi, cet accord ne créera pas, seul, des programmes de coopération. Il faudra, pour cela, que la volonté politique, à Paris comme à Belgrade, soit au rendez-vous. Mais il contribuera à offrir un cadre adéquat, protecteur et facilitateur. Mais surtout, la ratification de l’accord aura une signification symbolique forte. Ratifier cet accord – ce que la Serbie a fait en décembre 2011 – montrera à nos partenaires serbes que nous avons une volonté politique forte de continuer à développer la coopération entre nos deux pays et à soutenir la Serbie dans son processus de réinsertion en Europe. Dans cette perspective, je tiens à vous indiquer que le Premier ministre serbe sera demain en visite officielle à Paris.

Bien sûr, cet accord n’est qu’une petite pierre à un gros édifice mais je suis convaincue qu’il contribuera à envoyer un signal positif à la Serbie, dans la continuité de l’accord de coopération policière dont nous avons autorisé la ratification le mois dernier, au moment où les négociations d’adhésion à l’Union européenne devraient être lancées d’ici peu. C’est donc au bénéfice de ces observations que je vous recommande, ainsi que je l’avais annoncé, d’adopter le projet de loi qui nous est soumis.

M. le président Paul Giacobbi. Comme vous le savez, nos relations avec la Serbie sont très anciennes et vous avez eu raison de souligner le caractère classique certes mais surtout symbolique de l’accord dans le contexte présent, que l’on peut qualifier d’historique. La relation bilatérale a été marquée par des très haut, un amour fou, et des très bas, notamment en contexte de guerre, et par des incidents, dont le moindre n’était pas l’assassinat à Marseille du roi Alexandre Ier.

M. Jean-Pierre Dufau. En qualité notamment d’ancien président du groupe d’amitié avec la Serbie, je me réjouis évidemment de cet accord. Je veux rappeler à quel point la Serbie est un allié de la France et que la référence à l’amitié franco-serbe a été présente dans tous les moments difficiles de notre histoire. C’est un petit pas mais tout de même un pas de plus pour renforcer nos liens sur le chemin qui mènera la Serbie dans l’Union européenne après que ce pays aura tant souffert. Il jouera alors je n’en doute pas un rôle important et l’axe franco-serbe ne sera pas inutile dans l’Europe de demain.

M. Jacques Myard. Nous venons de rappeler à juste titre l’histoire très ancienne qui nous lie avec la Serbie. Je souhaite toutefois faire part de mon inquiétude quant à l’application de l’article 24 de l’accord eu égard à un passé proche. Cet article relatif aux infractions personnelles peut être une source d’ennuis non négligeable. En effet, l’article 24.2 réserve la compétence juridictionnelle de l’Etat d’origine en cas d’infraction résultant de tout acte ou négligence d’un membre du personnel accompli dans l’exercice de ses fonctions officielles ainsi que dans les cas suivants : lorsque l’infraction porte uniquement atteinte à la sécurité de l’Etat d’origine, par exemple un officier français qui dévoilerait des secrets d’Etat en Serbie, lorsque l’infraction porte uniquement atteinte à la personne ou aux biens d’un autre membre du personnel de l’Etat d’origine ; et lorsque l’infraction porte uniquement atteinte aux biens de l’Etat d’origine. Cela signifie que dans tous les autres cas de figure la compétence relève de l’Etat d’endroit. Si un officier français qui a exercé des frappes sur la Serbie lors du dernier conflit n’est pas couvert, il pourrait donc être poursuivi par les autorités judiciaires serbes. L’inverse est également vrai, par exemple pour un officier serbe qui viendrait en stage en France. Cette clause est extrêmement « permissible » pour l’Etat d’accueil. Dans les accords de ce type, normalement, c’est toujours l’Etat d’origine qui a le privilège d’immunité. Il faudra être extrêmement vigilant dans le choix des hommes qui se rendront en Serbie et de ceux qui seront reçus en France.

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure. Je précise que le même article 24 contient également des garanties relatives au droit à un procès équitable au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Le droit international devra être respecté.

M. Jacques Myard. Je rappelle que les frappes sur la Serbie posent un problème au regard du droit international général, n’ayant jamais été autorisées par le conseil de sécurité des Nations-Unies.

M. Paul Giaccobi. Nous avons bien compris qu’il ne s’agit pas dans les propos de M. Myard d’émettre une réserve à la ratification de l’accord mais de souligner le fait qu’en pratique il faudra faire attention à sa mise en œuvre. Au surplus, on part du principe qu’un pays est de bonne foi et qu’il est opportun de conclure une alliance lorsqu’on signe ce type d’accords et des contacts sont pris pour s’assurer de la bonne foi. Après, la justice est évidemment indépendante.

Mme Marie-Louise Fort, rapporteure. Je rappelle encore que la Serbie a envoyé dix militaires à nos côtés au Mali.

Suivant les conclusions de la rapporteure, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 428).

Source: Assemblée nationale

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